lundi 27 mai 2013

Interview n°4 de Merlin Parpaing

Pour la dernière fois, Merlin vient nous parler de certains de ses collègues entendus par les sénateurs de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé.

Zoélie F. : Bonjour Merlin, aujourd’hui nous allons clore ce chapitre du rapport du Sénat sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé.


Merlin Parpaing : Bonjour Zoélie. Tu ne veux pas qu’on prenne le temps d’analyser un à un les rapports d’audition de la commission d’enquête du Sénat ?


Z.F. : Non, cela nous prendrait trop de temps. J’avais envie de rebondir sur l’actualité et je trouve intéressant de décortiquer avec toi quelques cas particuliers, mais je ne veux pas négliger mes cours à portée plus générale.


M.P. : Je vois...


Z.F. : J’ai remarqué que beaucoup de thérapeutes dénoncent le charlatanisme d’autres praticiens qui travaillent selon des méthodes et des théories pratiquement identiques aux leurs. C’est un procédé de base, apparemment.


M.P. : Oui, en effet. Dénoncer la malhonnêteté et l’incompétence, c’est un moyen simple et efficace pour convaincre les gens que l’on est soi-même honnête et efficace. Moi aussi, je mets en garde contre les charlatans : autant pour donner une image de sérieux à la technique que je pratique que pour éviter de voir mes clients partir chez n’importe quel gugus qui fait plus ou moins la même chose que moi.


Z.F. : Justement, parmi les thérapeutes entendus par les sénateurs, j’en ai repéré trois  qui disent en substance : “Moi je suis sérieux, les autres sont dangereux”.


M.P. : Et alors ?


Z.F. : Eh bien, comme je te l’ai dit lorsque nous avons parlé de ta propre audition, j’ai repéré chez eux un certain nombre de décalages entre le discours tenu devant les sénateurs et ce qu’ils racontent à leur clientèle.


M.P. : Ah, tu trouves qu’ils ont moins bien réussi leur grand oral que moi ?


Z.F. : Oui. Par exemple, quand tu lis qu’un thérapeute-formateur s’indigne des formations sur trois week-ends proposées par ses concurrents, tandis que lui propose des formations sur trois ans, ça donne un certain poids à son discours sur la qualité... mais sur son site internet, j’ai vu qu’il proposait aussi une formation intensive en dix jours.


M.P. : Oui, c’est vrai, à propos des formations, il y a un léger décalage... et on retrouve ce décalage à propos de la thérapie. Par exemple, sur le site internet, la thérapie est présentée comme permettant aux personnes d'avoir moins de stress et plus de sérénité face à la vie, d'être moins anxieuses, de moins souffrir d'insomnies, d’atteindre un équilibre intérieur qui permet une meilleure gestion des situations avec une capacité accrue d'adaptation, pour trouver un nouvel élan personnel qui mène à l’épanouissement personnel (familial, au travail, etc.) et à une meilleure estime de soi.  La technique est également supposée être une excellente réponse à la psychosomatique (mal de dos, de ventre, à la tête...) et aux douleurs physiques... Mais face aux sénateurs, il s’agit plus modestement d’apporter une simple relaxation aux personnes en bonne santé ou d’améliorer le confort des malades.

Z.F. : Exactement. Et ces décalages ne sont probablement pas bien perçus par les clients.  


M.P. : Encore faudrait-il qu’ils diversifient leurs sources d’information.. Autant la plupart des gens ont le réflexe de faire vérifier par le pharmacien les champignons qu’ils ont ramassés en forêt avant de les manger, autant ils sont loin de se montrer aussi prudents avant de s’engager dans une thérapie !


Z.F. : Il y a une branche thérapeutique qui connaît un succès remarquable depuis une trentaine d’année, c’est tout ce qui se rapporte à l’interprétation du sens de la maladie. J’ai vu que le Sénat avait auditionné deux spécialistes du sens de la maladie.


M.P. : ou mal-a-dit, selon l’expression consacrée. Tu n’as pas encore fait de cours sur ce thème, il me semble...


Z.F. : Non, mais c’est prévu. En effet, les tenants des théories sur le sens de la maladie ont en commun d’affirmer que la maladie a une signification qu’il convient de trouver afin d’agir sur les causes véritables de la maladie tandis que le traitement médical conventionnel n’agirait que sur les symptômes. Ils affirment également que la maladie est l’expression d’un conflit qui déborde les ressources psychiques de l’individu et que la résolution de ce conflit permet la mise en route d’un programme d’auto-guérison. Ces théories sont censées s’appliquer à toutes les maladies, y compris les plus graves. C’est un thème très important que j’ai prévu de traiter ultérieurement. Mais aujourd’hui, j’aimerais qu’on parle simplement des incohérences dans les discours de ces messieurs, en lien avec leurs auditions par les sénateurs.


M.P. : Bon, comme tu le sais, l’un des deux est très connu, il a monté sa propre école et écrit de nombreux ouvrages sur le décodage de la maladie. Dans un de ses best-sellers, il explique que le symptôme est une réaction d’adaptation de l’organisme, une solution biologique de survie de l’individu, du groupe ou de l’espèce. Selon lui, tout symptôme est là pour traiter ce qui l’a provoqué. Il décrit les différentes formes que peut prendre la guérison, qui selon lui, résulte de la solution du conflit. Sa théorie s’applique notamment aux cancers. Donc en lisant son livre, on peut légitimement en conclure qu’on guérit d’un cancer en résolvant le conflit qui en est la cause. Toutefois, sur son site internet, il est beaucoup plus mesuré dans ses propos, puisqu’il dit que sa technique n’est pas une promesse de guérison, mais une ouverture, un champ d’hypothèses, et que sa technique ne remplace pas la consultation d’un médecin et ne détourne pas d’un traitement médical.

Z.F. : Eh oui, vingt années de pratique ne lui ont pas permis de s'engager sur la valeur thérapeutique de ses "hypothèses", mais il les juge suffisamment pertinentes pour les diffuser à travers des livres et des formations. C'est le principe de précaution... à géométrie variable.

M.P. : Héhé, bien dit ! Mais dans son livre, il parle pourtant du conflit de diagnostic et de la peur de mourir qui pourrait déclencher un cancer du poumon. Même s’il affirme ne pas détourner les malades de la médecine conventionnelle, il écrit que la peur provoquée par un mauvais diagnostic peut entraîner la mort du malade, ça doit bien dissuader quelques personnes malades d’aller chez le médecin en cas de symptômes suspects, tu ne crois pas ?


Z.F. : Si. Et j’ai aussi remarqué que face aux sénateurs, il est encore plus modeste. Il leur dit que son travail consiste à proposer une écoute empathique et émettre des hypothèses sans jamais imposer ses certitudes quant au sens des symptômes.


M.P. : Ce qui ne l’empêche pas de vendre une encyclopédie des correspondances symptômes-émotions.


Z.F. : Peux-tu nous donner un exemple ?


M.P. : Euh oui, le cancer de foie, selon lui, exprime un conflit de peur de manquer de nourriture, de l’essentiel pour survivre.


Z.F. : Voyons un peu ce que raconte notre deuxième spécialiste du sens de la maladie. Lui aussi travaille sur le sens des maladies, mais il recherche le conflit générateur de la maladie pas seulement dans l’histoire du malade mais dans celle de sa famille.


M.P. : Oui, sur son site internet, il écrit que la maladie est un système biologique naturel d'adaptation au stress, une solution de survie et une zone de décharge d'une situation émotionnelle généalogique.


Z.F. : Et que dit-il à propos des pathologies affectant le foie ?


M.P. : Il parle lui aussi de conflits de manque de nourriture, de manque d’argent ou de conflits d’héritage... et même de conflit de manque de respect ou d’estime de soi.


Z.F. : C’est ce qui s’appelle ratisser large. Qui n’a pas eu dans sa vie au moins l’un de ces conflits ?


M.P. : Pour interpréter le sens de la maladie, il ne se contente pas d’extrapoler une signification psychologique à partir de la fonction biologique de l’organe affecté. Il complète son interprétation avec le tarot, l’astrologie, etc.


Z.F. : Les sénateurs lui ont fait part de leur inquiétude à propos du risque de mauvais usage de ses enseignements par ses élèves. Et il a répondu que certains de ses élèves restent des imbéciles toute leur vie ! Qu’ils n’ont pas les bases alors que lui, en tant qu’ex-médecin, il a les bases !


M.P. : Ah oui ! C’est pas bon pour les affaires, ça ! Prendre les gens pour des cons, c’est un peu inhérent au métier, mais le déclarer publiquement, c’est franchement maladroit. Parce qu’après tout, il est bien content de les trouver ces imbéciles, pour leur vendre ses formations.


Z.F. : Mais je crois que chez lui, c’est une tendance lourde de prendre les gens pour des idiots. Apparemment pour des raisons fiscales, il refuse de dire aux sénateurs qu’il est formateur, mais un peu plus loin dans la conversation, il parle de ses séminaires, de ses formations et de élèves. Sur son site internet, il est aussi question de ses formation et de sa méthode que des thérapeutes pourraient vouloir dispenser. Il est aussi question d’un certificat délivré à la suite d’un examen et donnant accès à la pratique en cabinet.


M.P. : C’est vrai, il a même dit aux sénateurs qu’il était prêt à cesser ses activités si celles-ci n’étaient pas légales. Il a aussi dit qu’il retirerait de son site internet certains éléments qui prêtent à confusion.


Z.F. : En réalité, il a fermé son forum et la page principale de son site web, mais il continue sur les autres pages à faire la promotion de ses activités. Par exemple, l’histoire de sa maladie incurable dont il s’est guéri en deux jours, il l’a laissée. Les gens peuvent croire qu’il s’agit d’une pathologie lourde alors qu’en réalité, c’est seulement un psoriasis.


M.P. : Il a beau avoir un doctorat de médecine... il n’a pas été très brillant face aux sénateurs. Et les deux autres non plus, d’ailleurs. Quand les clients remarquent les contradictions et les incohérences, ils comprennent vite qu’il y a une part de mensonges... et alors, ils changent de crèmerie.


Z.F. : En résumé, pour mes élèves, ce sont des exemples à ne pas suivre.  Merci  Merlin pour  ton analyse et tes commentaires.

M.P. : Avec plaisir, Zoélie. N’hésite pas à faire appel à moi  à chaque fois que tu auras besoin d’un expert !




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4 commentaires:

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    1. L'aptitude à la pensée critique est en effet très importante et elle devrait être développée au cours de tous les cursus de formation, quelque soit le métier envisagé.
      Je ne connais pas le contenu précis de ce qui est enseigné aux étudiants en médecine. En France, la philosophie est enseignée au lycée, les probabilités et les statistiques également...
      Le fait que certains abandonnent la médecine pour s'engager dans des pratiques discutables est-il à un manque d'esprit critique ou à un manque d'éthique ?

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  2. Je me suis souvent posé la question de comprendre pourquoi des personnes pourtant très éduquées pouvaient sombrer à ce point dans la pseudo-science (Montagnier par exemple). Une partie de la réponse se trouve sans doute dans le phénomène de la dissonance cognitive et la puissance du biais de confirmation. "Le pouvoir de l'esprit sur l'esprit"... Le besoin de merveilleux ou d'une réponse miraculeuse est parfois plus fort que la raison. Peut être que certains médecins ne supportent plus de se sentir impuissant devant certaines pathologie. Je ne sais pas encore très bien. J'explore. Sinon, 2 articles intéressants sur les mécanismes de la croyance peuvent être lus ici: http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1110 et ici: http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1116.

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    1. Oui, certainement un peu toutes ces raisons contribuent au succès des pseudo-sciences.
      Merci pour les liens :-).

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